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Témoignage
Palestine 18 - 28 décembre 2003, par Pierrette Bras
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Article publié par la revue Etudes palestiniennes n°91, printemps 2004

« Les ouvriers marchent à toute vitesse vers le contrôle. Ils ne voient rien sinon leurs pieds, laissant à leurs corps le soin de parcourir mécaniquement la distance qui sépare les véhicules, des fouilles et des vexations. Leurs yeux expriment la violence de l’humiliation . C’est la scène la plus éprouvante de mon voyage en Palestine, avec cette dernière image de Gaza : des milliers d’hommes silencieux marchant sous le regard de deux femmes soldats assises sur un petit muret. L’une est brune, l’autre rousse. Elles balancent leurs pieds dans le vide, telles deux fillettes. »

Elias Sanbar, La Palestine un pays à venir

Anne s’est installée en septembre 2003, pour plusieurs mois, à Ramallah. Comme quelques-uns uns de ses amis, nous avons eu la grande chance, Gérard et moi, de la rejoindre. C’est essentiellement elle qui nous a guidés et servi d’interprète.

18 décembre 2003

Départ. Décollage prévu à 10h20, réel 12h00. – Arrivée à Tel-Aviv 17h30

Le contrôle de police, que l’on nous avait prédit difficile dès lors que l’on voyage via Air France, se révèle assez simple, réduit à quelques questions sur le contenu des bagages et une palpation pour Gérard.

A Tel-Aviv, la fiche remplie dans l’avion et présentée à la jeune policière déclenche une série de questions.
-  Que venez-vous faire en Israël ? Où comptez-vous résider ? Quelle est la durée de votre séjour ?
Mon anglais limité, me sauve d’un interrogatoire plus musclé. Mon passeport m’est rendu. Je peux entrer en Israël. Il n’est évidemment pas question de donner notre véritable destination car si aucune loi n’interdit à un étranger de se rendre en Palestine, il n’est pas autorisé à le dire !
Anne nous attend avec un chauffeur arabe qui habite Jérusalem ouest. Ce grand costaud, affable, attend accroupi près de la sortie, façon de passer inaperçu, de même qu’il évitera de parler car il pratique peu l’hébreu. Les Arabes ne sont pas les bienvenus à Ben Gourion. Pourtant sa voiture est munie de plaques minéralogiques jaunes. La couleur des plaques n’est pas un détail : elle est déterminante pour qui veut franchir les « check points » .

Il fait grand nuit, il pleut. Une trentaine de kilomètres séparent Tel-Aviv de Jérusalem, puis encore une quinzaine jusqu’à Ramallah. Entre les deux : le grand « check-point » de Qalandya
Notre premier passage. Il y en aura beaucoup d’autres.
Nous prendrons vite l’habitude de quitter le service, camionnette qui tient lieu de transport collectif ou taxi (pour les pressés ou les plus fortunés) pour franchir à pied la centaine de mètres qui séparent les deux rives. Si l’on vient de Jérusalem les véhicules sont blancs, qu’il s’agisse de services ou de taxis, en revanche, côté palestinien ils sont jaunes. Repérage efficace. Mais je ne m’habituerai pas, durant tout mon séjour, à l’obligation de présenter mon passeport à un gamin déguisé en soldat, mitraillette au poing. J’aurai à chaque passage un sentiment de révolte. Non pas qu’il soit anormal en pays étranger de justifier de son identité. Non, plutôt parce que ces frontières sont le signe de la limitation des mouvements des individus en Palestine, pour qui n’est pas Israélien. . Il arrive qu’un soldat vous demande si vous êtes Juif. Une réponse positive facilite de passage. Ces tracasseries ne sont évidemment pas dirigées contre nous à la condition toutefois de filer doux. Malheur à celui qui aurait un geste jugé dangereux par la soldatesque, mieux vaut ne pas sortir trop précipitamment son téléphone portable ou son mouchoir.
Je ne suis donc pas concernée directement, en tout cas pas a priori. Pourtant, ce qui me heurte, me blesse profondément, c’est le regard que ces jeunes soldats portent sur les Palestiniens, qu’ils soient eux-mêmes, jeunes, vieux, hommes ou femmes. Les premiers temps, je l’ai pris pour de la haine. Je n’en suis plus si sûre, peut-être est-ce plutôt du mépris. Ce qui n’est pas moins terrible car ce regard fabrique de l’humiliation et de la haine en retour. Humiliation, le sentiment, le mal, communs aux Palestiniens.

Avi Mograbi , que nous rencontrerons en fin de séjour, à qui nous suggérons que les soldats doivent subir une mise en condition ou, pour le moins, recevoir des consignes, nous assure que non. C’est inutile. Ces jeunes gens sont exposés au danger. Cible potentielle d’un tireur, ils vivent dans la peur permanente. De plus, ils ont de fait un pouvoir absolu sur autrui en situation de non droit, qui peut engendrer mépris, haine voire sadisme. Effectivement, à de très rares exceptions près, comme ce jour où nous avons été salués en français avec le sourire, l’attitude des soldats est la même, ce qui nous a laissé croire à un embrigadement.
Les contrôles supplémentaires fréquents, abusifs, inattendus, hors et en plus des « check points » fixes, dès le moindre incident, les délais d’attente extensibles voire les refus de passage, interdisent toutes prévisions, tous projets. Aucun rendez-vous précis ne peut être fixé, aucun délai de déplacement n’est prévisible. L’économie en souffre terriblement tout comme la société civile. L’individu devient un être sans perspective ni projet, soumis au bon vouloir du soldat qu’il ait reçu des ordres ou qu’il agisse selon son humeur.

Les Palestiniens ont coutume de dire « En Palestine, la règle c’est qu’il n’y a pas de règle ! »
On jugera de l’inconfort pour ne pas dire de la déstabilisation humaine et du désespoir qu’entraînent de telles pratiques.
Des amis m’avaient prévenue. En Palestine, le téléphone portable est très utile. J’avais écouté poliment et laissé le mien à Paris. J’avais tort : il est indispensable. Il est d’ailleurs l’un des deux attributs du Palestinien, l’autre étant la cigarette. Il faut absolument pouvoir prévenir et être prévenu à tout moment, des retards ou des mouvements de l’armée, de l’instauration d’un couvre-feu ou du bouclage de telle ou telle ville pour tenter de rentrer au plus vite.

Mais revenons à Qalandya, le 18 décembre. C’est un jeudi, veille du jour de repos pour les musulmans. L’affluence est grande, chacun veut rentrer chez soi. Il est impératif de franchir le barrage qui ferme à 21h30.
Je l’ai dit, il pleut à verse. Certains privilégiés, comme nous ce soir-là, sont à l’abri dans les véhicules, mais la grande majorité doit traverser à pied, pataugeant dans la boue, slalomant pour éviter les énormes flaques que sont devenues les ornières laissées par les engins qui construisent un tronçon de la « clôture de sécurité » .
Ce soir-là, notre chauffeur établira un record : rejoindre Ramallah depuis Tel-Aviv en deux heures.
Nous arrivons à Ramallah, qui me paraît bien calme. Il faudra attendre le samedi pour connaître l’animation du marché et des commerces du centre ville.

Il pleut toujours, il fait froid. La maison dans laquelle Anne loue un vaste appartement, est située légèrement à l’écart dans un quartier résidentiel. C’est une jolie bâtisse en pierre, comme beaucoup d’édifices de la région. Elle abrite trois familles sur deux niveaux. Nous rencontrerons et parlerons avec plusieurs locataires pendant notre séjour.
L’appartement comprend une terrasse protégée par des grandes vitres. Dès qu’un rayon de soleil filtre, elle se révèle être un lieu très agréable, hormis l’été sans doute !

Vendredi 19 décembre

La ville est grise d’un brouillard de crachin. Les volets des boutiques sont fermés. Les affiches, en hommage aux martyrs, détrempées, rendent l’atmosphère affreusement triste.
Sari Hanafi, que nous rencontrerons plusieurs fois lors de notre séjour, nous invite à une réunion de Palisad, groupe formé par des intellectuels israéliens et palestiniens, hommes et femmes, universitaires pour la plupart.

Ils se réunissent environ tous les deux mois pour réfléchir en commun sur la situation de leur (s) pays. Le groupe est plus large que les présents mais les difficultés de transport rendent presque impossible la réunion de tous ses membres. Aujourd’hui ils sont une vingtaine. En plus de nous trois (Anne, Gérard et moi) un journaliste français indépendant assiste aux échanges.

L’ordre du jour : les accords de Genève et le problème du boycott des universités israéliennes en Europe. Les débats se déroulent en anglais (la deuxième langue en Palestine). Auparavant un tour de table permet à chacun de se présenter. Très impressionnée, les quelques mots d’anglais qui suffiraient me font défaut. J’articule en rougissant : « My name is Pierrette Bras, I am French » qui amuse beaucoup l’assistance. Heureusement Anne assure l’essentiel de la traduction.

A Paris Les Accords de Genève m’avaient rassurée même si je n’en ignorais pas les difficultés de mise en œuvre. Une nouvelle porte ouverte par des Israéliens et des Palestiniens, ensemble, me semblait positive de toute façon. Ici, le scepticisme règne. Les plus modérés pensent qu’ils ne sont pas entièrement négatifs. La majorité est hostile. La représentativité voire la légitimité de Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, les deux principaux initiateurs du texte sont mises en cause. Plus grave, le sort des réfugiés est très mal abordé. Or cette question est centrale et incontournable pour qui veut sérieusement prétendre proposer une négociation entre Israéliens et Palestiniens.

Des écrivains comme David Grossmann et Amos Oz sont vivement critiqués car ils laisseraient croire à un renoncement palestinien au retour des réfugiés. Ce qui est faux et dangereux car la responsabilité de l’échec d’un accord entre les deux parties retomberait une fois de plus sur les négociateurs palestiniens accusés d’intransigeance. Si l’attitude de ces deux écrivains se révélait exacte, elle m’attristerait profondément car je les tiens pour des gens sérieux et sincères. Il serait néfaste que le désir de voir le conflit se résoudre conduise à évacuer un problème aussi profond.

En effet, si la question du retour des réfugiés est délicate à résoudre, l’avis général est que personne ne peut décider à leur place de leur volonté de rejoindre ou non la terre qu’ils ont fuie en 1948 et sur laquelle ils ont été empêchés de revenir. Il serait alors impératif qu’une liberté totale de circulation soit la règle pour tous.

On voit que Genève n’est pas à la veille de réussir.

La deuxième question entraîne une vive discussion. Certains sont très fermes : il faut boycotter tous les universitaires israéliens dans les universités européennes ; d’autres considèrent que cette solution priverait les partisans de la paix les plus combatifs du soutien qui leur fait cruellement défaut ; d’autres encore proposent une réponse au coup par coup et préfèrent laisser le choix en fonction des personnalités ou des disciplines de recherche. Par exemple, toute collaboration sur des sujets touchant à la recherche scientifique ou technologique dès lors qu’elle est susceptible d’aider à la fabrication d’armes serait bannie, en revanche des scientifiques, sociologues ou philosophes pourraient être accueillis. Quelques-uns, plus déterminés, souhaitent que tous les produits israéliens soient boycottés afin de faire pression sur la population israélienne.

Aucune réponse définitive ne sera trouvée, ce n’était pas l’objectif. Il s’agissait de confronter les idées à la lumière des différentes expériences et positions de chacun.

Ce qui est remarquable c’est la très grande sérénité, le profond respect dont chacun fait preuve à l’égard des autres. Parfois les échanges sont vifs, les propos tranchés, jamais ils ne deviennent coléreux, encore moins blessants. On se prend à souhaiter autant de sagesse à Paris !
Vers 15h00, nous nous entassons dans la voiture de Sari pour rejoindre un restaurant italien et déguster pâtes et salades arrosées de bière de Tabeh, village chrétien à l’Est de Ramallah.

Mais vite, ne perdons pas de temps. Profitons des dernières lueurs du jour, Jérusalem nous attend. Il pleut toujours. Sari qui connaît cette ville comme sa poche, est un guide précieux. De la terrasse de la superbe maison de l’Institut évangélique autrichien, une des plus belles vues sur les toits de Jérusalem s’offre à nous. Celle-là même qui m’avait tant séduite dans ce beau film d’Abraham Segal, Le Mystère Paul, vu à Paris en 1999. Nous reviendrons plusieurs fois à Jérusalem au cours de notre séjour.

Samedi 20 décembre

Grand beau temps. Une visite de Ramallah s’impose.
Ville moyenne plutôt bien entretenue.
Vitrine pour étrangers raillent certains. Il est sûr que rester à Ramallah nous priverait de l’image réelle de la Palestine sous occupation. Car si l’on oublie que ses habitants ne jouissent que d’une liberté de sortie réduite à la volonté de l’occupant, l’ambiance de la rue est celle d’une grosse bourgade tranquille. De nombreux magasins offrent tous les produits de consommation courante. Je m’étonne d’ailleurs du grand nombre de pharmacies/produits cosmétiques et je délire devant les étals de fruits et légumes. Pensez, des agrumes cueillis mûrs ! Des pamplemousses jaunes, acidulés à souhait. A Paris, ces fruits ont quasiment disparu. Des magasins donc, certains sont abrités dans quelques tours du centre. Le Centre Culturel Français est parmi eux. Malheureusement il est fermé lorsque nous nous y rendons.

Aux côtés des comestibles, le marché de Ramallah propose beaucoup de vêtements, chaussures ou accessoires. Un coup d’œil rapide renseigne sur leur provenance : Corée, Chine… Les marchandises entrent plus facilement que les hommes dans ce pays !

Le hasard guide nos pas jusqu’à Saint-Georges, église orthodoxe grecque. Un grand gaillard d’archimandrite nous fait les honneurs du lieu. C’est un homme jeune. Après des études à l’étranger, il revient en Palestine, diplômé en informatique. Mais comme il n’a pas fait son service militaire –of course, comment le pourrait-il ? L’armée israélienne n’est pas disposée à intégrer des Arabes !- il ne peut prétendre travailler dans cette branche. Ce qui est fort dommage car les besoins sont grands. Nous avons constaté le développement des réseaux de communication. Le courrier électronique notamment est très couramment utilisé. Les cybercafés sont nombreux qui permettent de rompre l’isolement. Notre hôte nous dit dans un sourire et avec beaucoup d’humour que cela lui a permis d’étudier les Ecritures et qu’il en est très heureux.

En le quittant nous passons à proximité d’un restaurant, connu d’Anne, tenu par des femmes. L’endroit nous plaît, il surplombe la ville et les collines à l’est de la ville. La cuisine sent bon, nous décidons d’y déjeuner. En fin de repas la cuisinière, patronne des lieux s’assied à notre table, à notre invitation, pour bavarder un peu. Elle a vécu longtemps en Californie puis a décidé, elle aussi, de rentrer. Elle dit l’aménagement du restaurant, l’investissement. Elle dit comment, au début du siège, en 2001, les soldats font irruption. Elle dit comment ils cassent, tout, méthodiquement. Elle dit qu’elle a tout reconstruit. Elle dit…

Une dernière visite : la Mouqata’a.
Les premiers bâtiments correspondent bien aux images transmises par les médias. Sorte d’énorme millefeuille de béton gris percé de tiges métalliques. Aucune garde particulière n’en surveille l’accès. Une fois pénétrés dans ce qui ressemble plus à une cour mal entretenue, qu’à l’entrée du siège de la Présidence, deux hommes en civil demandent aux curieux de ne pas poursuivre et d’éviter de prendre des photos. Ce qui est dommage, d’une part, elles deviendraient témoignages, d’autre part aucun risque de saisir un secret de l’endroit où nous sommes.
Un autre jour, nous pourrons franchir ce premier obstacle et aller jusqu’à l’entrée officielle sans être inquiétés.

Dimanche 21 décembre

Nous décidons de visiter la vieille ville de Jérusalem. Nouveau passage à Qalandya que nous reconnaissons à peine. De jour et par temps sec, on pourrait presque se croire sur un de nos marchés, si ce n’était la présence des soldats. Fruits, légumes, vêtements, pain et téléphones portables s’étalent et se vendent.

Je suis touchée à la vue de ces femmes à l’incroyable élégance, qui portent talons et bouts pointus très mode, dans ce chaos. Même dans ces conditions détestables, la féminité conserve ses droits.

Arrivés à Qalandya je m’aperçois que j’ai laissé mon visa chez Anne. Heureusement Gérard a le sien mais il va falloir convaincre le soldat. Il feint, de nous croire quand Gérard lui explique dans un anglais hésitant, que sa femme a laissé le précieux document at home !

Pour entrer en Israël le visa préalable n’est pas nécessaire. Il est délivré sur feuille volante à l’aéroport de Tel-Aviv pour une durée de trois mois. Il doit être présenté à chaque contrôle.

Ouf ! Nous voilà installés dans le service blanc. La détente est de courte durée. Un problème que nous n’identifions pas, contraint le chauffeur à faire demi-tour. Un nouveau soldat monte à bord, chaque passager lève son passeport. Nous sommes les seuls non-Palestiniens. Il veut voir nos documents. D’un signe autoritaire il demande qu’on les lui apporte. Nouvelle explication sur l’absence de visa. Bougon, il nous laisse cependant partir non sans signifier que nous n’en avons pas le droit mais qu’il fait preuve de magnanimité. Ok. Je n’oublierai plus mon visa de tout le séjour ! La méthode aurait-elle du bon ?

Venant de Qalandya, l’arrivée à Jérusalem passe devant le ministère de l’intérieur israélien. Ce matin-là des manifestants dont nous ignorons les revendications, vocifèrent des cris hostiles à notre passage, cognant sur le véhicule et collant des tracts sur ses flancs. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait très probablement de colons. Je suis admirative du calme avec lequel nos voisins accueillent ces menaces. Habitude, crainte, mépris en retour, fierté ?

Lundi 22 décembre

Un groupe de militants parisiens, venus soutenir les responsables et les enfants du centre Al-Rowwad du camp Aïda, l’un des trois camps de réfugiés de Bethléem, nous rejoint à Ramallah et décide de nous accompagner à l’université de Bir Zeit, distante d’une dizaine de kilomètres.

Nous avons de la chance car le « check point » a été levé courant décembre. Il était un véritable cauchemar pour les étudiants et les professeurs qui devaient, parcourir plusieurs kilomètres à pied et par tous les temps, après avoir subi contrôles et vexations des soldats. Souvent les filles passaient, pas les garçons. L’accès était devenu si difficile que certains professeurs ont renoncé à leur cours et que quelques départements ont dû fermer ! Les actions militantes menées avec l’aide d’Internationaux , ont peut- être aidé, ce n’est pas sûr et… ne pas se réjouir trop vite, il peut être réinstallé d’un jour à l’autre ! En Palestine, la règle…

L’Université de Bir Zeit est privée. Créée en 1924, elle compte 6000 étudiants, 700 professeurs et personnels. Quatre instituts (droit, commerce, sciences sociales, architecture). L’accès est payant et beaucoup d’étudiants rencontrent de grosses difficultés pour régler les frais. 35 % du budget proviennent des droits d’inscription (1400 € par an).
Depuis 1997 des universités européennes apportent leur contribution. C’est ainsi que la France soutient le département de droit. Malgré cela Bir Zeit est en déficit. L’Autorité palestinienne ne peut plus suivre. Quelques bourses sont attribuées, je n’en connais pas les critères. En 2002, personnel administratif et enseignants n’ont pas perçu leur salaire pendant huit mois. Très peu ont démissionné. Aujourd’hui le retard de paiement est de quatre mois.

En avril 2002, un enseignement à distance à dû être installé en urgence. Bir Zeit, à vocation palestinienne, devient à cause de toutes ces difficultés d’accès, université régionale. Certains étudiants ne sont pas rentrés chez eux depuis trois ans. Aux inconvénients décrits plus haut s’ajoute le coût des transports, chaque changement de véhicule entraînant un nouveau paiement.

Pour l’heure nous assistons au cours de français. Une dizaine de jeunes filles, jeunes femmes (deux sont enceintes) ainsi que leur jeune et jolie professeur, nous reçoivent avec plaisir. Nous remarquons l’hégémonie féminine. On nous promet deux étudiants pour l’année prochaine ! Ici comme partout en Palestine, les étrangers et particulièrement les Français sont les bienvenus. Il y a un besoin impérieux de sortir de l’isolement imposé par l’occupant.

Chacune se présente et décline son intérêt pour la langue française, très minoritaire à Bir Zeit. Toutes, sauf une, la pratiquent déjà. Plusieurs l’ont apprise dans une école chrétienne, nombreuses en Palestine. Elles font preuve à son égard d’un grand attachement. A notre question de savoir quel usage elles en espèrent, deux seulement sont précises. Elles comptent sur sa rareté pour devenir interprète ou traductrice. Les autres en restent à leur plaisir de la parler sans beaucoup plus de précision, si ce n’est de pouvoir communiquer avec l’étranger.
Les échanges deviennent rapidement très libres.

La question de la future loi française sur l’interdiction du hidjad (communément appelé foulard islamique, en France) à l’école déclenche une incompréhension et une réprobation générale. A chaque fois que ce problème sera abordé durant notre séjour, la réaction sera la même. Certains allant jusqu’à avancer l’idée que Chirac se rachète auprès de Bush de sa position contre la guerre en Irak. Elles sont toutes nue tête, cependant plusieurs portent le voile régulièrement. L’une d’entre elles, une jeune Algérienne arrivée depuis peu et qui maîtrise parfaitement le français, revendique pour elle-même, le droit de porter le voile. Elle le dira avec fermeté, bien que sa mère soit une féministe, doyenne d’université. Je n’ai pas très bien compris pour quelle raison d’ailleurs. Toutes diront qu’il s’agit d’une décision personnelle qui relève de la liberté individuelle, sans rapport avec une remise en cause de la laïcité.

A l’automne dernier ont eu lieu les élections au Conseil d’Administration de l’Université. Le Hamas est arrivé largement en tête des suffrages. Plusieurs étudiantes diront qu’il s’agit plus d’un vote de protestation contre l’Autorité que d’une approbation de l’activité du Hamas. A notre question :
- connaissez-vous des étudiants impliqués dans des attentats ?
- réponse négative
puis, elles croient savoir que trois étudiants en auraient commis. Ce qui est certain, c’est que plusieurs d’entre elles connaissent des jeunes qui ont été emprisonnés. Le frère de l’une d’elles notamment, qui raconte
- après le couvre-feu, les soldats ont fait irruption dans les maisons et contraint les hommes à les suivre. Ils les ont emmenés, maltraités, laissés sans nourriture et au froid pendant plusieurs jours .
Repas au resto U, où nous retrouvons quelques enseignants rencontrés vendredi. Une grande tablée rassemble les participants à un colloque sur le droit et les conditions de travail. Il y a là quelques syndicalistes. Chez les étudiantes, j’observe une nette majorité de têtes couvertes.
Retour à Ramallah où Gérard doit donner une conférence à « l’Institut refuge and diaspora center », à l’invitation de Sari qui en est le responsable. Son sujet : « Démocratie, peuple et domination ».
Une trentaine de personnes, enseignants, étudiants, une philosophe, quelques sociologues comme Sari, une fonctionnaire de l’Autorité, un journaliste… écoutent attentivement son développement, traduit en arabe par Sari. Plusieurs auditeurs sont francophones. Le sujet n’est pas en rapport direct avec la situation israélo-palestinienne, cependant les questions et remarques montrent un intérêt soutenu pour des réflexions théoriques qui rejoignent leurs propres débats. Sari le confirmera plus tard.

Après la conférence, l’envie nous prend de rentrer à pied tout en continuant à discuter. Anne nous propose d’aller voir les restes de la maison suspectée d’avoir abrité deux terroristes tués par les soldats et détruite par l’armée israélienne quelques jours avant notre arrivée. Un troisième cadavre, celui d’un enfant, aurait été trouvé à proximité.
Le conditionnel s’impose car les informations ne sont pas toujours fiables. Les Palestiniens estimant que tous les morts sont des chahids = martyrs, qu’il s’agisse de résistants, kamikazes ou de victimes accidentelles ou collatérales. Ils sont victimes de l’occupation, un point c’est tout.
Toujours est-il que nous avons du mal à retrouver le lieu précis. Le ménage a été fait et bien fait.

Quelques mots sur la destruction. Lorsqu’une maison est soupçonnée d’avoir abrité un terroriste, elle est détruite. A Ramallah, ce petit immeuble comptait plusieurs appartements ; les soldats ont donné un quart d’heure à un membre de chaque famille pour ramasser quelques affaires puis l’ont fait exploser.

Le calme actuel de Ramallah ne doit pas nous faire oublier que l’occupation engendre une violence susceptible de surgir à tout moment. Cette cité a subi un siège de novembre 2001 à septembre 2002. Le monde entier a vu les images sur les écrans de télé, pas forcément saisi le calvaire enduré par ses habitants.
Nous dînons ce soir-là dans le resto branché de Ramallah. Celui que les étrangers, qui travaillent dans les différents organismes ou O.N.G, aiment à fréquenter . Aujourd’hui nous sommes les seuls. Tables basses et cheminée, le lieu est élégant et confortable. Les murs exposent les œuvres du propriétaire, Taysir Barakat. Abstraction sur bois. Il revient de Dijon où il a exposé. Son idée initiale était d’investir les carrefours en peignant des colombes au sol. Les passants et les voitures auraient dû les fouler en traversant ! Le symbole a fait peur à la mairie qui a refusé. Il s’est replié sur le musée.

Mardi 23 décembre

Nous devons assister, à Bethléem à la représentation théâtrale « Nous les enfants du camp » donnée par le Centre « Al-Rowwad ». Une quinzaine d’enfants a écrit et joue, avec l’aide d’un animateur, une pièce sur leur vie de réfugiés. Nous décidons de partir assez tôt pour faire un peu de tourisme. Bien nous en prend, mais de tourisme point. Deux officiers de Tsahal ont été tués le matin à Gaza. Réaction immédiate : punition généralisée pour tous les territoires en attendant les représailles. Elles auront lieu le lendemain : 9 Palestiniens tués, 40 blessés.
Contrôles renforcés aux « check-points », contrôles volants supplémentaires.

Nous ne savons pas encore que quelque chose a eu lieu mais nous sentons la nervosité des soldats. Arrêté une première fois au niveau de l’Université d’ Al Quds (Jérusalem), village d’Abou Dis, le service débarque ses passagers. Nous montons dans un autre qui se charge d’étudiants et de professeurs.
Pour contourner un deuxième barrage, le chauffeur emprunte une route de campagne chaotique et traverse quelques villages. Dans les villes et les villages qui ne sont pas sous contrôle de l’Autorité palestinienne, l’entretien des routes est soumis à un permis des Israéliens, qui le refusent presque toujours. Cela rend les conditions de transport déplorables. Les amortisseurs résistent mal. De plus le relief est très escarpé, les collines succèdent aux collines (elles ne sont d’ailleurs pas sans évoquer certains paysages toscans).
Poussière ou boue garanties selon la saison ! Nous ne nous plaignons pas, nous ne faisons que passer. Les villageois eux, doivent les subir en permanence, même si l’argent existe pour réparer, cela leur est interdit. J’accepte mal toutes ces vexations, ces humiliations. Au nom de quelle nécessité sécuritaire doit-on contraindre des humains à vivre ainsi ?
Au troisième contrôle, tout le monde descend à nouveau pour le passer à pied car il y a embouteillage. Les hommes, jeunes, étudiants pour l’essentiel, ne passent pas. Ils attendent en rang que l’ordre leur soit donné. Les filles, moins nombreuses ont plus de chance. Elles peuvent franchir le barrage après avoir présenté leur carte d’identité. Elle est verte ce qui leur interdit de sortir de Cisjordanie.

Nous franchissons l’obstacle à pied et sans problème.
Puis deux professeurs, qui nous avaient sans doute remarqués dans le dernier service, nous signalent que le grand car, là, devant nous va à Bethléem.

Nous montons avec les quelques personnes autorisées. Plus loin un autre contrôle va encore trier ceux qui ont contourné la difficulté à travers champs. Nous en sommes les témoins impuissants. Un soldat très nerveux et hargneux ordonne aux hommes de se mettre en rang, et vite. L’un d’entre eux, plus lent ou distrait, reçoit un coup de téléphone portable sur l’oreille et obtempère.

Nous sommes en retard pour la représentation. Nous trouvons avec quelques difficultés le nouveau théâtre de Bethléem. Salle moderne qui surprend un peu dans cette ville à l’architecture chargée d’Histoire.
Un groupe de pèlerins emmené par l’hebdomadaire La Vie est venu encourager les enfants. Le directeur du journal, très ému, leur remet un chèque qui contribuera à la construction d’un nouveau centre culturel dans leur camp. Les applaudissements terminés, chacun s’égaye. Un petit coup de déprime me gagne. Que faire ? Il est 19h00, déjà trop tard pour espérer rentrer à Ramallah facilement. Rester ici ? Trouver un hôtel ? Finalement Jean-Claude (militant parisien qui guide le groupe dont j’ai parlé plus haut) décide de rester aussi.
Nous nous retrouvons avec quelques autres Français dans le camp Aïda. Les responsables de Al-Rowwad vont vite chercher de quoi dîner. Là encore l’hospitalité est émouvante. Là encore ils nous remercient de venir jusqu’à eux. Après ce repas improvisé, nous sommes invités à dormir chez eux. Pour notre part nous irons chez Brahim. La maison de pierre est confortable bien qu’il y fasse très froid. La construction récente est pourvue de l’installation de chauffage qui attend des finances meilleures pour fonctionner. Le salon est accueillant. Tapis, divans, tableaux. Loin de l’idée que j’avais d’une maison dans un camp de réfugiés. Le lendemain, je constaterai qu’elle côtoie des masures. L’habitat est là, comme ailleurs, le reflet de la situation socio-économique.

La structure des camps est la même qu’à leur origine. Les tentes ont été remplacées, par des constructions solides, au fur et à mesure que les réfugiés comprenaient qu’ils devaient s’y installer durablement.
Ce soir, la conversation roule encore sur Genève et l’avenir. Brahim souhaite vivre et élever ses enfants en paix. Il estime que le rapport des forces est très nettement défavorable aux Palestiniens et que dans ces conditions il faut rester ferme sur le principe du droit au retour des réfugiés. Toute concession serait faiblesse.

Les enfants nous laissent leur chambre, Brahim et sa femme nous procurent très vite des couvertures.
Le repos sera de courte durée, le muezzin nous réveille avec vigueur vers 5h00 du matin !

Mercredi 24 décembre

Finalement, ce lever matinal nous permet de visiter l’église de la Nativité en toute quiétude, en seule compagnie de quelques policiers palestiniens qui préparent la venue de plusieurs centaines de personnalités qui participeront à la messe de minuit.
Yasser Arafat, qui y assistait chaque année, en est désormais empêché. Depuis bientôt trois ans, il lui est interdit, par l’occupant, de quitter la Mouqata’a.

La ville commence à se préparer pour les festivités.
Nous badons un peu. Saleh, un jeune garçon, nous entendant parler, s’adresse à nous en français. Il nous demande si nous connaissons le Secours populaire français. A notre réponse affirmative, il nous explique qu’il est venu l’an passé à Valence à l’invitation de SPF. Il en garde un grand souvenir et souhaite que nous saluions pour lui, le « moniteur » qui s’est occupé de son groupe. Nous lui promettons d’essayer de le retrouver ! C’est fait ! Il s’agit d’un ami du SPF de l’Ardèche qui se souvient fort bien de lui.

Puis nous partons pour Beit Sahour, la ville des « bergers », petite bourgade qui bénéficie de la proximité de Bethléem. Le maire est chrétien.
De son bureau on découvre Har homa, une colonie récemment installée au sommet de la colline juste en face.
Construite comme une forteresse, elle domine la petite vallée comme si elle narguait Bethléem. Il y a encore peu de temps un petit bois la coiffait. Les colons ont tout rasé pour édifier les maisons. De loin on devine des murs percés de fenêtres. Des colonies comme celle-là nous en verrons beaucoup au cours de nos déplacements. Tout est nu à l’alentour, pour des raisons de sécurité. Aucun obstacle ne doit permettre à un « terroriste » de s’abriter. Plus tard, nous irons voir la fameuse « clôture de sécurité » qui passe juste au-dessous.
Autoroute taillée dans le vif, qui n’épargne ni collines, ni champs, ni villages. Des deux côtés une rangée de barbelés. Pas ceux de nos campagnes, qui paraissent presque inoffensifs à côté. Des barbelés, munis de lames tranchantes, pourtant interdits par les conventions internationales. Impossible de passer sous peine de graves blessures. Les couper ? Le relais est assuré. Un dispositif électronique renseignera immédiatement sur le lieu du délit. Il s’agit bien, sous couvert de protéger les colons, d’une volonté d’isoler efficacement les villes et villages et parquer les Palestiniens dans ce qui devient peu à peu de véritables réserves. Pour que la sécurité soit encore meilleure, la clôture ne doit pas être à portée d’une arme palestinienne, c’est pourquoi elle entraîne la destruction de maisons ou d’immeubles, existants ou en construction, à plusieurs centaines de mètres. On m’a rapporté le cas d’immeubles récemment construits, grâce à ce qui ressemble en France aux Plans Epargne Logements de jeunes couples, rasés pour cette raison.
Retour à Bethléem, à majorité chrétienne. La ville est transformée. Les processions vont bon train. Nous avions oublié la date : le 24 décembre, c’est la fête.

Nous rentrons sans trop de difficultés à Jérusalem où nous avons rendez-vous avec Anne et deux nouveaux amis français fraîchement arrivés. L’un cinéaste, l’autre preneur de son. Nous les retrouvons à la Maison d’Abraham, grosse bâtisse tenue par le Secours catholique français, lieu d’accueil des pèlerins. Notre lieu d’habitation durant notre séjour, pour la police israélienne.
Située hors les murs, elle offre elle aussi une vue imprenable. D’un côté, le Mont des Oliviers, de l’autre la vieille ville, le Dôme du roc, la mosquée Al Aqsa…C’est un endroit merveilleux, planté de grands pins parasols, à l’écart de l’agitation et qu’on imagine frais l’été. Une colonie juive s’est installée depuis peu, juste à côté. Le risque est grand de voir cette superbe demeure, de même que les maisons arabes voisines, rasées, pour permettre l’extension de la colonie.

L’origine de beaucoup d’implantations nouvelles est la suivante. Une baraque de distribution d’essence, parfois une simple caravane s’installent à proximité d’un point d’eau, quelques temps après, au nom de la sécurité, les destructions commencent, forêts ou bâtiments, oliviers, cultures… Puis comme le terrain est libéré, l’extension est possible qui engendre elle-même des destructions…et ainsi de suite.
Revenue à Paris, j’entends la promesse de Sharon de démanteler des colonies.

De quoi s’agit-il ? De vraies colonies ou de quelques caravanes déposées depuis peu ? Il s’agit, en fait, de colonies situées dans la bande de Gaza. Leur évacuation est conditionnée au développement d’implantations en Cisjordanie !

Ayant retrouvé la petite troupe, nous nous remettons en route pour Ramallah. Douche et changement de tenues s’imposent, c’est que nous sommes invités en ville !
Sari nous reçoit chez lui, à Jérusalem. Il habite un superbe appartement meublé avec goût. L’immeuble est à peine terminé. Les escaliers de béton manquent d’électricité, l’ascenseur n’est pas installé et les rampes ne sont pas posées… Comme beaucoup de bâtiments, ce petits groupe d’habitations est construit sans permis israélien et susceptible d’être détruit. Sari et ses voisins prennent le risque. Ne pas abandonner. Rester. Résister.
Sari a préparé un repas raffiné en notre honneur. Nous en sommes extrêmement touchés.
Sa femme et ses deux enfants de 14 et 7 ans, sont arrivés de Nantes où ils résident, pour passer les vacances avec lui. Ils ont vécu tous les quatre en Egypte où Sari était en poste ; à leur retour ils ont hésité à s’installer tous ici. Finalement ils ont décidé de ne pas infliger le spectacle ou le danger de la violence quotidienne, à leurs enfants. Ce n’est pas un cas isolé. Beaucoup de familles sont dispersées aux quatre coins du monde, notamment pendant la période des études. Certains reviennent, d’autres s’établissent dans les pays d’accueil. Beaucoup sont aux Etats-Unis mais également en Europe.
Les Palestiniens sont des gens instruits. Les familles font des efforts considérables pour assurer l’éducation et la formation des jeunes. La diaspora certainement aussi, mais je ne connais pas d’exemple. Certains obtiennent des bourses. L’une des étudiantes rencontrées à Bir Zeit, a déjà séjourné en Belgique, grâce à ce système, et souhaite y retourner.
Dans les camps, l’éducation, de même que la protection de la santé, est assurée par l’UNWRA, qui dépend de l’ONU. Son autorité est incontestée. Elle dispose de gros moyens. L’école est obligatoire et gratuite.
Jeudi 25 décembre

Malgré les événements des deux derniers jours nous décidons de partir pour Hébron. Anne nous accompagne.
En ce début d’après midi de jeudi, veille de congé, la ville est plutôt animée. Je devrais préciser d’emblée, la ville nouvelle car l’autre…
Je m’attendais à recevoir un choc. Plusieurs personnes nous avaient prévenus. Je ne pouvais cependant imaginer ce que j’allais voir. Suivant l’artère principale, nos pas nous conduisent naturellement à l’orée de la vieille ville. Le décor change insensiblement. Les boutiques sont de plus en plus fréquemment fermées, quelques marchands proposent leurs fruits et légumes sur des tréteaux. La rue rétrécit jusqu’à devenir une ruelle de souk. Un artisan, je crois me souvenir qu’il est boucher, est devant son étal. Nous nous approchons. Je remarque les yeux infiniment tristes de cet homme encore jeune et semble-t-il en bonne santé. A notre question « Ca va ? » il répond calmement dans un geste qui nous incite à regarder autour de nous « C’est très dur pour nous ici. ». Cet échange me fait prendre conscience de l’étrangeté du lieu. Boutiques fermées, silence pesant, grillage tendu entre les deux côtés de la ruelle, au niveau du sommet des portes des échoppes.
Plus j’avance plus je me sens oppressée, glacée, avec la désagréable impression d’être suivie, observée. Cette étrangeté vient du fait que les colons, pour la plupart américains de Brooklyn, se sont installés juste au-dessus, en étage en quelque sorte. Ils vivent là, en famille. Dans les logements aux fenêtres aveugles ou préservées par des barreaux. Protégés par l’armée. A Hébron 400 colons mobilisent 1200 soldats !
Impression confirmée quelques instants plus tard. Un gosse, mollement retenu par un soldat, jette dans notre direction, par trois fois, cailloux et objets métalliques en nous injuriant. Le ton ne trompe pas ! Pour ces gosses, tout ce qui n’est pas juif est palestinien, donc ennemi ! A cet endroit le grillage fait défaut. Nous comprenons immédiatement son utilité. Il s’agit d’une protection contre les déjections, de toute nature, balancées par les colons qui, du même coup vivent le nez sur un amas d’ordures.

Au cours de notre visite de la vieille ville nous rencontrons deux étrangers, certainement des journalistes, munis d’appareils photos. Le premier, un Anglais ou Européen du Nord. Livide, il nous explique qu’il a été arrêté à plusieurs reprises par les soldats et que l’atmosphère de ces lieux le rend malade. Nous aussi. Nous n’aurons pas d’échanges avec la seconde, japonaise ou coréenne.

A quelques pas, un peu de vie. Incongrue, dans cette ville quasi morte, une toute petite boutique de boulanger propose des petits pains plats qui ressemblent un peu à des blinis. Pour deux shekels (l’équivalent de 0,30 €) nous en recevons une grande quantité qui nous ramènent à un peu d’humanité. Poursuivant notre chemin, nous rencontrons quelques ouvriers qui s’affèrent à la réparation de canalisations. Nous apprendrons qu’une ONG est missionnée pour préserver ou plutôt tenter de préserver le patrimoine d’Hébron. Plus loin, quelques garçonnets jouent avec une boîte de conserve, devenue un ballon de foot. Il reste encore quelques familles dans ces lieux mortifères. Choix ou manque d’argent ?
Justement un homme nous fait signe alors que nous admirons la superbe architecture d’une maison. Nous le suivons pour faire connaissance du Chef de la famille, de sa femme et petit à petit de toute la famille qui défile pour nous saluer. Ils ont eu 13 enfants ; filles et garçons qui sont presque tous mariés et parents eux-mêmes. 22 personnes vivent là dans six petites pièces. le salon de réception est meublé de divans et de tapis. Les murs accueillent des tapisseries et tableaux religieux, une sourate brodée, une représentation de la Mecque… Nous nous détendons à leur contact, protégés par des murs bas et épais qui rappellent des troglodytes. Le contraste avec la violence extérieure est saisissant. L’émotion est si forte que j’évite de parler pendant de longues minutes.
Vite, la mère envoie les filles acheter des boissons (où ?) et des graines de sésame pour grignoter. Nous sortons nos achats pour les partager avec eux. Ils tiennent absolument à les préparer comme il se doit. Nous qui avions commencé à les manger en l’état ! Je suis deux jeunes femmes dans la petite cuisine, où sont préparés chaque jour les repas pour 22 personnes ! Elles m’initient à la transformation de nos « blinis » en véritables petits gâteaux, fourrés de sucre et de cannelle avant d’être plongés dans un bain d’huile. Il faut toute la fermeté d’Anne pour qu’ils acceptent de les partager avec nous.

Nous nous préparons pour partir mais le café vient d’être servi. Il n’est pas question de vexer nos hôtes en le refusant. Après l’avoir bu, nous prenons congé avec force émotion, embrassades et remerciements mutuels.

Cet intermède chaleureux nous fait beaucoup de bien. il nous permet de supporter le retour à l’extérieur.
Peu après, une inscription en russe, bombée sur une échoppe attire notre attention. Anne traduit : « Mort aux Arabes », en face : deux prénoms, Sacha et Youra, probablement les signatures. Le « check-point », tout proche, nous laisse à penser qu’elles sont celles de deux soldats.
Continuant notre chemin, nous sommes arrêtés par un « check point ». Les soldats vérifient les passeports, nous font passer sous un portique détecteur de métaux, nous interrogent sur notre religion.
-  Sans.
-  Impossible, répond un soldat !
Sans discuter nous nous dirigeons vers la mosquée. Arrêtés par un nouveau « check point » qui nous en interdit l’accès, nous repassons le précédent pour nous diriger vers le Tombeau des Patriarches. Inaccessible aujourd’hui pour cause de mariage. Continuant notre visite, nous arrivons dans une zone totalement dévastée par des combats. Récents ? les ruines de maisons anciennes aux murs percées de balles, dont les vestiges laissent deviner de superbes voûtes en croisées d’ogives, côtoient des gravats divers. La nuit tombe. Très vite. Il n’y a pratiquement pas de crépuscule. L’ambiance devient inquiétante.
Nous rebroussons chemin pour nous rendre au Centre culturel français, où nous avons rendez-vous.

Le centre a dû, comme les Arabes, déménager tant les colons rendent la vie difficile dans la vieille ville. Il est maintenant dans un bâtiment neuf près de l’université.

Une demi-douzaine d’étudiants qui fréquentent le cours de français nous reçoivent, bientôt rejoints par leur professeur. Nos interlocuteurs fréquentent l’Institut polytechnique de l’université qui compte environ 2000 étudiants. 4000 autres sont inscrits en sciences humaines.
L’éclectisme de la bibliothèque de langue française est le reflet de la solidarité : littérature, un peu d’histoire, quelques livres théoriques, sociologie, politique, histoire, philosophie, quelques romans policiers. Je leur promets d’en envoyer, en espérant que la poste fonctionne.
L’université hébronite a été fermée par les Israéliens pendant plus d’un an. Elle a réouvert depuis peu. Durant cette période, les cours ont continué dans les locaux scolaires, en demi-journées lorsque les enfants ne les utilisaient pas.

Un verre de thé à la main, nous conversons sur les difficultés quotidiennes de nos jeunes hôtes (les mêmes ou presque que celles des étudiants de Bir Zeit) quand la nouvelle de l’attentat-suicide de Tel-Aviv nous parvient. Dix morts (en fait quatre et dix blessés). Personne ici ne le condamne. Sans porter de jugement, nous leur faisons part de nos réserves auxquelles ils répliquent en nous rappelant la Résistance française pendant la seconde guerre mondiale. « Vous aussi vous aviez vos terroristes… » La différence que nous ne manquons pas de leur opposer, est que jamais un résistant français n’a choisi une foule anonyme de civils pour cible. La question qui les préoccupe est celle de savoir d’où venait le kamikaze car en attendant que sa ville soit bouclée, au moins pendant plusieurs jours et sa maison rasée, selon le rituel, ce sont tous les territoires occupés qui vont subir la punition, collectivement.
Comme à Bethléem, il est trop tard pour rentrer. Nous décidons de coucher dans l’un des deux derniers hôtels, ouverts, de la ville. Moderne très bien équipé et… chauffé. Le lendemain nous compterons environ une dizaine de petits déjeuners pour une cinquantaine de chambres. Hébron est une ville sinistrée.

Avant de rejoindre nos chambres, nous dînons avec un étudiant et le professeur. Sa sœur est peintre, elle expose régulièrement en Egypte. Les langues se libèrent très vite. Le jeune homme dit très nettement que « les Juifs n’ont qu’à retourner chez eux. » Entendez leur pays d’origine pour les immigrants. Et les autres ? Il les chasserait bien ! Le prof., lui, est très critique vis-à-vis de l’Autorité. Dans un français impeccable, il a des mots très durs :
-  corrompue et ne travaillant qu’à ses propres intérêts, elle fait le lit du Hamas.
-  Les accords de Genève ?
- Les négociateurs ne pensent qu’à poser avec des journalistes.
Après avoir suivi l’enseignement de l’Ecole biblique de Jérusalem, il est devenu archéologue. Il n’hésite pas à affirmer que
- la Palestine est une terre de passage, personne ne peut sérieusement revendiquer être les descendants des habitants originaires.
Il est fréquent d’entendre de telles critiques en Palestine, ce qui l’est moins c’est la violence du ton. Hébron est une ville très religieuse. Pas de cinéma, peu de distraction, peu de magasins. La vie y est difficile pour un esprit ouvert et peu conventionnel comme le sien.

Vendredi 26 décembre

Un jour gris se lève sur Hébron. De la fenêtre de notre chambre nous voyons circuler quelques véhicules. La ville n’est donc pas sous couvre-feu, comme c’était à craindre. Nous décidons de partir le plus vite possible. Après un solide petit déjeuner (nous ne savons pas de quoi la journée sera faite), nous cherchons un moyen de transport. Justement voilà un grand car qui s’approche. Il va vers Jérusalem mais rien n’est garanti. Nous montons.

Les visages sont très tendus, le conducteur nerveux. Un premier barrage est franchi. Le chauffeur d’un autre car venant en sens inverse nous prévient que la situation est très difficile. Le nôtre décide de poursuivre. Plus loin un autre barrage. Un soldat se poste au milieu de la route, ordonne de stopper et nous met en joue. L’homme au volant lui lance très vite « chalom, chalom » et montre ses papiers. L’autre s’avance, regarde les documents et décide : le car n’est pas autorisé à continuer. Tout le monde descend. Nous sommes une dizaine à attendre sur le bas-côté de la petite route qu’un autre car nous convoie en sens inverse, avec l’espoir de trouver un débouché. Nos compagnons d’infortune nous conseillent de traverser la grande route toute proche qui va directement à Jérusalem, et de faire du stop. Nos passeports européens nous y autorisent. Un peu honteux de les laisser là, nous suivons cependant leur conseil après les avoir remerciés. Effectivement, quelques minutes d’attente suffisent pour qu’un véhicule nous charge, non sans avoir vérifié nos papiers. Sur le chemin, nous laisserons sur le bord de la route des hommes au bras levé qui n’auront pas la même chance que nous.
Porte de Damas, nous hésitons. Aller vers le nord comme nous en avions l’intention, semble compromis. Le risque est grand de se heurter à des barrages successifs ou de trouver Naplouse bouclée. Nous choisissons d’accompagner nos deux amis cinéastes, invités à partager le repas du vendredi, par une famille d’un village proche de Ramallah.
Nous voilà repartis, après être passés chez le pâtissier acheter le dessert. Notre guide, un journaliste palestinien proche de l’Autorité, en poste à Paris, nous déplaît très vite. Son discours convenu tranche avec les échanges que nous avons depuis notre arrivée. Manque de sincérité. Il en ira de même pour le chef de famille qui nous reçoit. C’est un notable. Il a des responsabilités dans le village, secrétaire de mairie, enseignant… L’assemblée est certainement trop large : il n’ose pas se livrer à des étrangers devant famille et amis. Une de ses filles, étudiante à Bir Zeit, dira à l’un de nous, qu’elle souhaite la paix avec Israël. La vie que mènent ses parents est trop difficile pour qu’elle envisage la même.
Un homme est mort il y a quelques jours, tombé sous les balles israéliennes. Sur sa maison flotte le drapeau noir du Djihad. Sa famille habite à côté, elle reçoit les condoléances de tous, comme la coutume l’exige. Cependant, ce jeune homme d’une trentaine d’années était une tête brûlée qui ne rêvait que de « descendre » de l’Israélien. Nous sentons bien la gêne et la désapprobation d’en faire un martyr.
La soirée sera calme, passée chez Anne à Ramallah.

Nous recevons deux militants. Un Quaker, ingénieur retraité italien et sa compagne, sud-africaine, venus planter des oliviers dans un champ déserté par des Palestiniens.
Le risque étant que la loi israélienne sur les expropriations ne mettent ces terres en grand danger. En effet tout terrain ou bâtiment vacant depuis trois ans tombe sous le coup d’une expropriation et devient automatiquement propriété de l’Etat hébreu. Ce couple est emblématique de la solidarité internationale envers les Palestiniens. Nous aurons avec eux quelques échanges, beaucoup trop brefs, sur les points communs et surtout les différences entre l’apartheid et la situation palestinienne.

Samedi 27 décembre

Pour notre dernier jour, nous choisissons de faire un peu de tourisme à Jéricho. Premier problème, se faire comprendre car Jéricho se dit Ariha en arabe, ensuite trouver un service, un taxi au prix fort l’est toujours ou presque, un service qui fasse le plein vers midi pour Jéricho, beaucoup moins. Car le service ne part que quand il est complet ! Nous attendrons une heure et demie !
Jéricho, ville mythique. La plus vieille ville du monde. Un panneau informe les visiteurs : Jéricho : depuis 10 000 ans. Grande oasis toute proche de la « Dead sea » seule partie du monde à moins de 200 m sous le niveau de la mer.

Changement d’ambiance. Ici le « check-point » a presque des allures de poste-frontière, sauf que les douaniers ont des armes prêtes à parler. Deux drapeaux flottent sur deux camps militaires à l’entrée de la ville. L’un palestinien, l’autre israélien. L’air est chaud, le vent du désert tout proche recouvre la ville d’une fine poussière de sable. La sérénité apparente tranche nettement avec ce que nous avons vécu ces derniers jours. Première ville autonome de Cisjordanie, en 1994, elle entreprend de nombreux investissements misant sur un tourisme de luxe , aujourd’hui défaillant, d’autant qu’elle est à la merci permanente d’un bouclage ou d’un couvre-feu.

Nous voulions monter jusqu’au Monastère de la Quarantaine auquel on accède par un téléphérique (l’inauguration en 1999 témoigne de la ténacité de ses habitants) d’où l’on a une vue imprenable sur l’Oasis.
Mais, incompréhension ou arnaque, la visite tourne court et nous devons nous contenter des fouilles de la vieille ville, légèrement en surplomb sur la colline. Auparavant, déjà, le pâtissier avait chargé l’addition. Furieux de ces comportements, nous avions eu des mots dénués de tendresse à l’égard de cette engeance. Aujourd’hui, j’en ai un peu honte. Pourquoi ces hommes seraient-ils meilleurs que les autres, au motif qu’ils vivent dans un pays occupé ?

Retour à Ramallah, valises, départ pour Tel-Aviv. Un taxi vient nous chercher. Il pleut. Nous ne pourrons franchir Qalandya, le « check-point » est fermé. Des dizaines de véhicules attendent le bon vouloir de l’armée.
Notre chauffeur décide d’emprunter des routes qui traversent la campagne et des villages. Jusqu’au niveau de Bir Zeit tout va bien, la route est une artère bien entretenue, au-delà, elle devient chaotique. On a vu plus haut pour quelles raisons. Aucune signalisation pour nous aider. Il faut très fréquemment demander notre chemin. Crevaison. Réparation. En attendant, sur le geste d’un homme en blouse blanche, nous entrons dans un petit dispensaire de campagne remarquablement bien tenu. Un homme est allongé, attendant des soins. Un autre est examiné par un médecin.
La roue changée, nous repartons doucement car il n’est pas question d’une nouvelle panne. Chaque route empruntée peut devenir un cul de sac. Il suffit pour cela que les soldats l’aient bouclée. Nous mettrons près de trois heures pour gagner Tel-Aviv. Heureusement que notre avion ne décolle que demain ! Notre chauffeur, rendu déjà très nerveux par ce transport pénible, le devient encore plus dès que nous arrivons à Tel-Aviv qu’il connaît mal. Il a, visiblement, hâte de nous déposer à l’hôtel et de repartir.

Nous passons une agréable dernière soirée, dans un restaurant de poisson, avec Anne et Avi Mograbi, . Homme de gauche, très engagé dans la lutte pour la paix avec les Palestiniens, il revient justement d’une manifestation de protestation contre l’armée qui a tiré sur des manifestants anti-mur dans une colonie. Pour la première fois, un soldat a visé et blessé un Israélien. Cela se reproduira quelques jours plus tard. Je suis très sensible au calme et à la lucidité d’Avi. Il se bat, sans illusion ni optimisme. La société israélienne va très mal. Le chômage sévit, la misère gagne chaque jour du terrain. 30 % des Israéliens vivent en dessous du seuil de pauvreté ! C’est chacun pour soi. L’esprit socialiste a vécu. Il pense que, dans leur grande majorité, les Israéliens en ont assez de la guerre. Ils souhaitent la paix mais ne bougent pas pour l’exiger, encore moins pour réparer les dégâts commis en leur nom. Sharon a encore de beaux jours devant lui. ! A-t-il songé à s’expatrier ? Oui, quelques fois. Plus maintenant. Son fils a décidé de refuser de faire son service militaire, il ne veut pas servir Israël dans les territoires occupés. Avi sait déjà que d’ici un an, son fils sera emprisonné.

Dimanche 28 décembre

Le lendemain matin, une promenade de bord de mer jusqu’à Jaffa. Accrochée sur un piton rocheux. Le soleil, la mer, le calme et ses petits airs de Saint-Paul de Vence nous feraient presque oublier la violence pourtant toujours prête à exploser.
Le déjeuner en terrasse dans une rue tranquille de Tel-Aviv, à la douceur printanière, pourrait conforter cette impression, si ce n’était les passages fréquents de jeunes soldats allant rejoindre leurs postes, l’arme en bandoulière. Le centre de Tel-Aviv est étonnamment homogène, formé de rues étroites aux immeubles bas à l’architecture années trente. Comme tout paraîtrait simple si mon esprit n’était encore à quelques kilomètres de là !

L’heure du départ approche. Le bus qui va à l’aéroport est à l’heure. Nous montons. Le chauffeur est un jeunot fort désagréable. Parole, il nous a pris pour des Arabes !
Arrivée à Ben Gourion. On nous dirige vers une première file d’attente. Premier interrogatoire par une jeune fliquesse : Avez-vous fait vous-mêmes vos bagages ? Quelqu’un vous a-t-il donné un paquet ou une lettre à convoyer jusqu’en France ? Ces questions sont légitimes, dictées par le souci très fort ici, de sécurité. Nous y répondons de bonne grâce. D’autres suivent : est-ce votre premier voyage en Israël ? Pourquoi y venez-vous ? Où avez-vous logé ? Avez-vous rencontré des amis ? Avez-vous de la famille en Israël ? (il paraît que c’est la manière pudique de savoir qui est juif sans avoir à le demander !) Après les réponses, les mêmes questions reviennent sous des formes à peine différentes. Nos réponses sont toujours les mêmes : oui c’est la première fois, nous venions visiter les Lieux saints, un vieux projet ! Nous logions à la Maison d’Abraham (cillements, la maison, catholique sise à Jérusalem-Est est connue pour ne pas héberger que des pèlerins !) Cela dit, rien de délictueux dans tout cela. Elle nous laisse passer.
Une seconde fliquesse (il y a plus de femmes que d’hommes ce jour-là, toutes très jeunes) renouvelle l’interrogatoire, sensiblement dans les mêmes termes. Une question plus précise cependant, pourquoi êtes-vous venus cette semaine de Noël au lieu de passer les fêtes en famille en France ? Parce que je suis enseignant et que j’ai des vacances à cette période là, lui répond Gérard du tac au tac (enfin presque, n’oublions pas que tout cela s’exprime en anglais !) A peine convaincue, elle nous fait lire des questions en français auxquelles nous devons répondre par oui ou par non. Facile !

Troisième contrôle. Le sac à dos contenant des livres est ouvert, examiné de très près, chaque livre feuilleté. Ce ne sont ni les titres ni les textes qui sont en cause, ils sont écrits en français, langue peu pratiquée, ici à l’aéroport, mais ils sont autant de caches possibles pour des armes telles que des lames. Vient le tour de notre valise. Ouverte elle est vidée elle aussi, son contenu fouillé. Qu’il est agréable d’exposer ses affaires en public ! Une autre jeune femme passe un appareil à l’intérieur, genre spatule munie d’un petit torchon blanc, servant vraisemblablement à détecter des traces de poudre. Forts de notre innocence, nous attendons tranquillement la fin de l’inspection, quand la jeune femme fait basculer la séparation médiane de la valise et…découvre un superbe sac provenant de LA pâtisserie de…Ramallah. Stupeur des deux parties.
- Combien de temps êtes-vous restés à Ramallah ? Pourquoi faire ? Où avez-vous couché ?
Il devenait difficile d’expliquer que nous avons visité les lieux saints de Ramallah, encore moins de l’attendrir en plaidant une légère névrose, en d’autres lieux inoffensive, qui consiste à collectionner les sacs. Donc : nous étions allés à Ramallah par curiosité, nous n’y étions restés qu’une journée et, comme nous sommes gourmands, nous avions acheté des gâteaux chez Eiffel sweets, ça ne s’invente pas… Je ne suis pas certaine d’avoir été aussi détendue sur le moment ! Toujours est-il qu’après être allée consulter sa chef, elle nous a donné le feu vert. Restait à refaire notre valise !

Nous survolons Tel-Aviv juste après le coucher du soleil. La nuit est percée du scintillement des lumières de la ville. L’image que j’en garde est féerique.

*
* *

Pendant mon séjour, Il y a eu des morts palestiniens à la suite de l’incursion de l’armée dans Naplouse et un attentat-suicide à Jérusalem, puis d’autres morts en représailles. Je n’en ai pas été le témoin. Je n’ai pas été, ni mes proches, victimes de violences. Cependant ce que j’ai vu, entendu, senti dans mon corps et dans ma tête est intolérable.

Stop. Basta.

L’idée d’écrire ce témoignage m’est venu tout naturellement en revivant nos différents échanges avec les Palestiniens. Contribuer à desserrer l’étau du silence, c’est le moins que je puisse faire pour eux. Je me moque de savoir qui était là, le premier, sur cette terre. Les enfants de Aïda ou de Jaffa doivent vivre sans la présence constante de la mort.

Au moment où j’écris ces mots, un courriel tombe : l’armée est dans Aïda (le dernier kamikaze en est originaire). Sa maison vient d’être détruite et beaucoup d’autres à l’entour. Les bombes assourdissantes, les balles. Les gaz lacrymogènes inondent les rues. Les soldats occupent les toits des maisons. Les enfants leurs jettent des pierres.

Abdelfattah, directeur du Centre culturel du camp, signe ce communiqué : « Résister avec la beauté, la culture et l’art à la laideur de l’occupation ».

L’année 2004 commence mal. Les Palestiniens ont besoin de notre solidarité. Ils doivent tenir bon jusqu’à ce que l’opinion israélienne et internationale contraignent Sharon à la raison.

Chalom, Salam.

Pierrette Bras
Février 2004



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