Moscou, années 1980.

Ruelle des apothicaires, l’édifice des bains. Touffeur moite. Tu entres dans une pénombre brumeuse saturée de parfums. L’eucalyptus domine. Tu distingues les contours vaporeux des corps. Peaux de blondes charnues, rouges de la chaleur du poêle. Elles commèrent à voix forte. L’une marie sa fille, l’autre part à l’étranger. Ces robustes se massent, s’enduisent, se brossent, se pèlent, se liment, se shampouinent. Les plus vieilles s’entreflagellent avec des rameaux de bouleau sèchés tout exprès.

Depuis un moment, elles t’observent, toi que ta gaucherie trahit. Ton corps trop brun, trop lisse. Alors une matrone sans façons : “ D’où êtes-vous, vous ? ” Toi : “ De France. ” Les voilà toutes à t’inspecter, te jauger, te comparer à l’idée qu’elles se font de la Française. Puis l’une lâche : “ Il n’y a rien à manger chez vous ? ”

Anne Brunswic (inédit)